Le 4 février 1803, Pancrote Feutre, baron de Nouillat, lut avec passion l’ouvrage d’Issac Newton « Philosophiae naturalis principia mathematica ». Ce fut pour lui une révélation : animé d’une ferveur ardente, il entreprit de partager la théorie de l’attraction universelle avec ces gens qui faisaient fructifier son domaine.
Mais comment faire comprendre à des esprits encore engourdis par la volonté divine que les corps s’attirent avec une force proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare ?
Pancrote Feutre savait d’intuition que rien ne remplace l’expérience personnelle et que l’on ne comprend jamais mieux que lorsque l’on voit les choses se produire.
Il fallait faire une maquette, à l’échelle du domaine.
Les travaux débutèrent en mars et furent achevés à l’hiver.
Pancrote fit tracer dans le sol du domaine des cercles concentriques autour de son château, à travers champs, forêts, collines et rivières.
Il fit ensuite tracer dans le même sol des voies rectilignes et graduées, coupant les cercles, rayonnant depuis le château à travers fermes et cultures.
Pour exprimer les masses, il fit fabriquer des sphères parfaites et identiques, façonnées les unes, de paille, les autres, de bois, et les dernières, de brique, afin d’illustrer la nuance qui distingue la masse du poids.
Pour exprimer les distances, il fit disposer ces sphères à chaque intersection des cercles et des voies, selon une combinatoire précise.
Il suffirait d’attendre que ces corps s’attirassent, plus ou moins vite, selon leur masse, en mesurant quotidiennement la distance qui les sépare les uns des autres.
Le 8 septembre 1807, le baron de Nouillat décidait que l’expérience avait été un échec : les sphères de brique n’avaient pas bougé d’un centimètre, et les sphères de bois et de paille avaient toutes été dispersées par le loup, sans que l’on puisse y voir une quelconque attraction. Il s’en fut dans son verger songer à Issac Newton.
Comme il passait sous un arbre, une pomme vint lui percuter violement le crâne.
Il était évident que le pommier l’avait fait exprès et qu’il n’existait aucune autre raison à l’attraction des corps que le désir, une force irréductible à l’équation.
Pancrote Feutre vit dans cette histoire de pomme l’une des nombreuses preuves, au même titre que l’affaire de la Genèse, de l’existence d’une machination secrètement ourdie par des cultivateurs. Dans quel but ?
En décembre, Pancrote Feutre embarquait à Bordeaux pour chercher sur la Terre un endroit écarté où d’être homme d’honneur, on ai la liberté, loin des pommiers et du rayonnement des Lumières.
Le 7 mars 1808, Pancrote Feutre découvrait un îlot isolé, que les autochtones nommaient Paranoïa.
On y cultive la pomme de serre depuis 1903.
Qui, de l’homme ou de la pomme
Rubrique : Histoire des inventions