Invention du Cinématographe

En 1890, dans les combles de l’appartement qu’occupait Pancrote Feutre à Paris, vivait un dénommé Léon Bouly, qui se voulait inventeur. Comme d’autres, il peinait à financer ses travaux et, comme tous, Bouly cherchait à mettre au point un dispositif réversible de photographie et d'optique pour l'analyse et la synthèse des mouvements.

Depuis 1888, Pancrote Feutre connaissait les résultats obtenus par Louis Aimé Augustin Le Prince : il avait ri, comme un enfant, à en tomber de son fauteuil, dans ce salon de Rounday, lors de la projection d’une comédie d’automne interprétée par des acteurs anglais. Et c’est à la chaleur naturelle de ce doux souvenir que Pancrote proposa à Bouly de lui verser une rente, afin que celui-ci puisse mener à bien ses travaux.

L’immobilité de Nouillat convenait mieux que l’agitation de Paris aux 104 ans de Pancrote Feutre. De retour dans le parc de son enfance, il oublia Bouly et la reproduction des images en mouvements : Feutre ne s’intéressait plus au spectacle. Il avait son jardin, toujours changeant, toujours renouvelé.

Cependant, en janvier 1894, Pancrote Feutre fut informé des progrès effectués à New York par W. K. Dickson dans le maniement du chapeau pour le compte de la maison Edison. Il se souvint alors de Léon Bouly.
Trois jours plus tard, l’inventeur se présentait à Nouillat avec une caisse. Il était détenteur de deux brevets pour un appareil qu’il nommait Cinématographe et qu’il pensait plein d’avenir. Dans la salle de spectacle de Nouillat, Léon Bouly proclama que son invention montrait la vie telle qu’elle est. Puis, il enclencha la machine.

L’horreur tétanisa Pancrote Feutre et l’empêcha de pousser le cri qui lui déchirait la poitrine. Ce qu’il voyait le révulsait. C’était comme ouvrir une porte de l’Enfer : les images aux couleurs criardes s’emparaient de son être, modifiait sa vision. Il se sentait irrémédiablement happé, réduit à l’état de réceptacle inerte.

Pendant une semaine, Pancrote Feutre fit des cauchemars à réveiller ces gens. Léon Bouly cessa de percevoir sa rente.

Lorsqu’en décembre 1895, Pancrote Feutre vit sur les grands boulevards Parisiens le mot « Cinématographe », il eu très peur. La salle sentait mauvais et les mains de Pancrote étaient moites. Les premiers cliquetis de l’appareil lui déchirèrent la nuque. Puis, vinrent les images : ces industriels Lyonnais à la vue basse s’étaient contentés de mettre en scène la bonne humeur de leurs employés, et ce, afin de vanter les mérites de leur boutique bien tenue.
Rassuré, Pancrote Feutre sorti avant la fin de la séance.