À la gloire des Eskimos rousseaux

Dans l’histoire de la civilisation, la glace est une date : c’est quand la glace est apparue que l’Homme s’est dressé.

C’est à l’Age de glace que s’est constitué la civilisation : tous les hominidés, qui hier encore n’étaient que des poissons à pattes, ont fondé dans la neige ce qui nous sert de socle.

En ces temps-là, le quotidien était rude.

Les soirées subies au sein de la harde étaient longues et propices aux idées.
La Terre offrait mille possibles et les idées bourdonnaient autour de nous comme de grosses mouches. Déjà, nous cherchions des moyens pour adoucir le quotidien : un hameçon plus approprié, une technique de chasse plus efficace, une pointe de flèche plus performante, une stratégie d’approche plus innovante.

Ces idées qui s’agitaient dans l’air poussaient la harde à se déplacer sans cesse.

Si vastes que soient les solitudes glacées, les chemins n’y sont pas nombreux : à la jonction d’un fleuve et de son affluent, au crépuscule, parfois la harde croisait une autre harde.
Les deux hardes établissaient un camp commun et là, au coin du feu, sur des peaux de bestiaux, on s’échangeait du savoir.

Riche de nouvelles techniques, chacun reprenait son trajet après la solennelle promesse de se retrouver là, au bord de l’eau, dans un an, jour pour jour.
Années après années, d’autres hardes se joignaient à eux : rien n’est plus heureux qu’un bistrot rencontré au cœur des solitudes glacées. Ainsi fut inventée la foire.

Puis, la période de glaciation pris fin.

À mesure que les glaces se sont mises à fondre, voyant que ceux qui restaient enfilaient des vestons pour conceptualiser la rentabilité, certains sont peu à peu remontés vers le Nord, à la recherche du climat que l’on avait toujours connu : la température idéale à l’absence de labeur.

Là-haut, dans les solitudes de l’Antarctique, les derniers civilisés s’éteignent au milieu des pingouins, en sirotant de la vodka glacée.